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L’accouchement de la dame Red-Djedet
Naissance solaire
L’un des plus célèbres accouchements de l’histoire égyptienne est celui de la dame Red-Djedet, « Celle qui fonde ce qui doit durer ». Selon un conte du papyrus Westcar, elle fut une mère tout à fait exceptionnelle, puisqu’elle donna naissance à trois pharaons de la Ve dynastie. Red-Djedet était l’épouse de Râ-Ouser, « Râ est puissant », et le dieu Râ avait pris l’apparence de son époux pour concevoir avec elle une dynastie solaire. C’est à partir de cette Ve dynastie, en effet, que tous les pharaons porteront le nom de « fils de Râ (la lumière divine) ».
Accoucher, en ancien égyptien, se dit « être délivrée », « sortir hors du corps », « venir sur terre ». Pour faciliter cet événement capital, on prenait soin de nouer les cheveux de la parturiente, de l’enduire d’huile afin de distendre les chairs et de lui injecter dans le vagin des liquides à base de plantes médicinales.
Malgré ces précautions, l’accouchement de Red-Djedet se présentait mal ; aussi Râ fit-il appel à plusieurs divinités, chargées de faciliter la naissance. Isis, Nephtys, Heket (la déesse grenouille des métamorphoses) et Meskhenet (le siège de naissance) se transformèrent en belles jeunes femmes, et le dieu Khnoum se chargea de leurs bagages.
L’affaire était d’importance, puisque Red-Djedet portait en son sein des triplés, appelés à exercer la bienfaisante fonction de pharaon, à bâtir des temples et à approvisionner les autels des dieux. Quand les divinités entrèrent dans la demeure de la future mère, elles trouvèrent d’abord le mari, très inquiet, en proie à une vive agitation. « Nobles dames, déclara-t-il, ma femme souffre ! Son accouchement s’annonce difficile ». Les déesses jouèrent de la musique et demandèrent à voir la parturiente. « Nous savons faire un accouchement », déclarèrent-elles, rassurantes.
Le pavillon de naissance
De préférence, l’accouchement doit avoir lieu dans un endroit particulier, le pavillon de naissance, qui rappelait le fourré de papyrus dans lequel Isis avait mis Horus au monde, à l’abri des forces maléfiques.
Une représentation de Deir el-Médineh nous donne une idée assez précise de ce pavillon ; c’est une construction légère, dont les colonnes de bois ont la forme de tiges de papyrus, lesquelles symbolisent le Marais primordial. Le long de ces colonnes et sur les parois, des plantes grimpantes. Autres décorations : Bès, le joyeux nain musicien, et Thouéris, la femme hippopotame. L’un et l’autre favorisent les accouchements heureux. De plus, Thouéris a pour mission d’ôter « les eaux de la naissance ».
Dans ce pavillon, un lit, des coussins, des étoffes, des tabourets, un miroir, des objets de toilette, des ivoires magiques, et le siège de naissance ou bien les quatre briques qui en font fonction.
Les cheveux défaits, la parturiente est nue ; elle doit être délivrée de tout nœud qui entraverait l’accouchement.
Les sages-femmes et la naissance
De même que n’importe quelle autre Égyptienne, Red-Djedet fut assistée par des sages-femmes. Elles l’aidèrent à s’accroupir soit sur ses talons, soit sur une natte, soit sur deux ou quatre briques[105]. Dans certains cas est utilisé un siège d’accouchement, dont un exemplaire, provenant de la région thébaine, a été conservé au musée du Caire. Haut d’environ 0,30 m, l’objet est en bois, peint en blanc. C’est la déesse Meskhenet qui incarne ce siège et contribue à fixer le destin du nouveau-né.
Les sages-femmes sont à la fois « les douces » et « celles aux pouces fermes » ; elles facilitent le travail, la délivrance et recueillent le nouveau-né « sur leurs mains ». On les considère comme les incarnations de la déesse-vautour Nekhbet, liée à la maternité, et protectrice de Pharaon ; l’enfant doit être fermement saisi par la sage-femme, à l’image des serres du vautour qui agrippe sa proie pour ne plus la lâcher. Soutenant la parturiente en lui tenant le dos et les bras, l’une des sages-femmes prononce des formules incantatoires. Sa collègue tranchera le cordon ombilical, lavera le nouveau-né, le présentera à la mère, puis le déposera sur un lit confortable.
Dans certains cas, on fait avaler au nouveau-né un morceau de son placenta, broyé dans du lait, le jour même de sa naissance. S’il le vomit, il mourra ; s’il l’absorbe, il vivra.
Si des difficultés se présentent, les sages-femmes posent des cataplasmes ou des compresses sur le bas-ventre de la parturiente. Lorsque l’expulsion de l’enfant par des voies naturelles était impossible, on avait recours à la chirurgie qui, dans ce domaine, paraît avoir été remarquable. Le cas le plus redouté : l’accouchement avant terme. Pour qu’il se déroule au mieux était récitée une incantation sur quarante perles rondes, sept pierres précieuses (des smaragdites ?), sept morceaux d’or et sept fils de lin tissés par les deux sœurs, Isis et Nephtys. Une amulette à sept nœuds était placée autour du cou de l’enfant.
Les sages-femmes attendaient avec impatience le premier cri du nouveau-né. S’il disait ny, il vivrait ; mais s’il disait emby, il mourrait. Autre mauvais signe : une voix plaintive. Lorsque le cri était bien net, la joie pouvait éclater.
Pour Red-Djedet, l’accouchement se déroula dans de bonnes conditions. Après avoir transformé sa chambre en pavillon de naissance, les déesses fermèrent la porte et se répartirent les tâches. Isis se plaça face à la parturiente, Nephtys derrière elle. Heket accéléra le processus de la naissance. Isis prononça le nom de chacun des enfants à naître. Le premier, Ouserkaf, « Son ka est puissant », lui glissa sur les mains ; il était long d’une coudée, soit 0,52 m, avait les os durs, les membres incrustés d’or, des cheveux en lapis-lazuli. Les divines sages-femmes coupèrent son cordon ombilical et le lavèrent. « Il sera Pharaon, prédit Meskhenet, et régnera sur le pays entier ». Khnoum rendit le garçon vigoureux et plein de santé. Les deux autres garçons vinrent heureusement au monde de la même façon et furent déposés sur une étoffe de lin.
Ravi, le mari offrit aux belles dames un sac d’orge que Khnoum fut obligé de porter ; mais les déesses avaient des cadeaux à faire. Elles façonnèrent des couronnes de Pharaon, les cachèrent dans le sac, et déclenchèrent pluie et vent ; aussi le mari fut-il contraint de déposer le bagage dans une pièce bien close.
Red-Djedet se reposa pendant quatorze jours. Quand elle eut besoin de nourriture pour sa maisonnée, elle fit ouvrir le sac d’orge et découvrit les couronnes. Son mari et elle comprirent qu’ils avaient donné naissance à de futurs pharaons.
Les mammisis
Chaque nouveau-né est un Horus ressuscité. En lui s’affirme une volonté d’harmonie, que sa manière d’être trahira ou non. En tant qu’enfant divin, Horus naît dans un temple particulier, le manimisi[106], dont plusieurs exemples ont été conservés, notamment à Dendera et à Edfou. Les scènes de ces sanctuaires, datant de l’époque ptolémaïque, nous font assister aux préparatifs rituels de la naissance divine, à la suite de l’union de la reine avec un dieu qui a pris la forme de Pharaon.
Les parois de ces temples, où résonnaient chants joyeux et musiques d’allégresse, étaient parfois revêtues de minces feuilles d’or collées sur un enduit de stuc. Le soleil rendait les scènes efficaces en les illuminant.
Un grand lit attend la parturiente, qualifiée de « mère du soleil divin ». En dessous, des vaches d’origine céleste garantissent fécondité et allaitement. Six femmes assistent la future mère qui, après avoir accouché, présentera son nouveau-né au dieu Amon. Vingt-neuf déesses Hathor jouent du tambourin, tandis que sept puissances masculines (les kaou) et sept puissances féminines (les hemouset) assurent la formation spirituelle et physique de l’enfant. Le dieu Ptah le sculpte, le dieu Khnoum le façonne sur son tour de potier, la déesse Séchat inscrit ses années d’existence sur l’arbre de vie.
C’est un véritable drame rituel, le mystère de la naissance divine, qui s’accomplit ainsi éternellement.
L’enfant-dieu est appelé à devenir Pharaon et à réunir les Deux Terres. Le rite est déjà présent sur les murs du temple de Louxor, où l’on peut voir l’accouchement de Moutemouia, la mère d’Amenhotep III, rite qui remonte peut-être aux plus anciennes dynasties.